« Les commémorations sont avant tout des évènements politiques »

À l’occasion du 80^e anniversaire du Débarquement, le Mémorial de Caen organise une exposition temporaire à partir du 8 mai 2024, retraçant l’Amérique dans laquelle ont grandi les soldats qui, pour certains, se sont sacrifiés sur les plages normandes : « Under the Red, White and Blue. L’aube du siècle américain (1919-1944) ». Nous avons demandé à Clément Fabre, professeur ATER à l’université Paris-Est-Créteil et commissaire scientifique de l’exposition, de nous en dire plus.

Entretien avec Clément FABRE

Pourquoi avoir choisi de centrer l’exposition sur la question des Américains ?

La spécificité de cette exposition était de la construire dans le Mémorial de Caen, car il y a quelque chose d’évident à commémorer ici et d’un peu délicat parce que le musée en parle déjà. Nous avons donc jugé plus intéressant de présenter l’histoire de l’Amérique d’où venaient les soldats. De plus, quelques expositions sur les Etats-Unis ont très bien marché donc il y a un intérêt du public normand qui n’est pas déconnecté du souvenir du Débarquement. C’est pourquoi, avec Kléber Arhoul, directeur général du Mémorial de Caen et commissaire général de l’exposition, on en est venu à cette idée de présenter une vaste fresque de l’histoire des USA dans laquelle ont grandi les soldats du 6 juin.

Mettez vous des choses en place pour toucher toutes les classes d’âge que ce soit des plus jeunes, des plus âgés, des étudiants, des personnes non spécialisées ?

Il ne va pas vraiment y avoir de côtés ludiques dans l’exposition. On va exposer des jeux, car les années trente correspondent à l’essor du Monopoly et des puzzles. Cependant, ces objets qui sont au cœur de l’exposition, peuvent toucher toutes les tranches d'âge. Les principaux textes vont être très simples et accessibles car l’idée est d’avoir une vision générale et suffisamment juste de cet univers des Américains qui pour certains finiront sur les plages normandes le 6 juin 1944. On a aussi une diversité de niveaux de lecture grâce à l’audioguide et au livre qui accompagne l’exposition. Ensuite, parce que l’Amérique de l’entre-deux-guerres est une histoire spectaculaire, on a tenu à avoir des éléments spectaculaires. On a envie que les visiteurs comprennent des choses qu’ils ne comprennent pas quand ils voient un film qui se situe dans les années 20.

Quel est votre rapport à l'histoire publique dans le cadre de la création d’une exposition ?

Un travail historique gagne toujours à être plus clair et plus accessible et la diffusion des connaissances gagne toujours à être au plus près de la recherche et du travail historique. C’est parce que cette question m'intéresse que je me suis retrouvée sur ce projet davantage que pour la matière première dont il traite. Cela a été une occasion de mettre en application les réflexions autour de l’histoire publique que l’on a à l’université Paris-Est-Créteil.

Les commémorations sont-elles encore utiles 80 ans après ? Faut-il les renouveler ? Quel est votre rapport à l’idée de commémoration ?

Même si les commémorations parlent du passé, ce sont avant tout des événements politiques. Pour moi, c’est difficile de répondre en bloc sur est-ce qu’il faut changer les commémorations. En France, on a une histoire particulièrement riche de commémoration depuis la Révolution. C’est au cœur de notre culture politique donc cela ne va pas disparaître demain. Quand on approche d’un anniversaire rond, il y a un intérêt du public qui n'existe pas en temps normal, par exemple, monter une exposition sur les États-Unis de l’entre deux guerres n'a pas du tout le même échos. Pour les historiens, les commémorations sont une ressource avec laquelle jouer. Je pense que cette exposition le montre bien.

L’exposition bénéficie de prêts d’institutions américaines. Quelles sont les démarches que vous avez effectuées ?

Je précise d’abord que nous n’avons pas que des pièces américaines. Un certain nombre de prêteurs français et européens nous permettent d’avoir de belles pièces autour de l’histoire de Chaplin, dont la canne et le chapeau de Charlot. Je suis allé aux Etats-Unis avec Kléber Arhoul, tout s'est joué à ce moment-là. On a rencontré le réseau diplomatique français parce que cette exposition s’est construite en anormalement peu de temps compte tenu de l’ambition du projet. D’habitude, en moins d’un an c’est tout à fait impossible de négocier des prêts de cette importance. Il y a donc eu toute cette dimension de diplomatie culturelle pour pouvoir faire accoucher le projet.

Comment avez-vous choisi les pièces de l’exposition ?

Ce qui nous intéressait ce n’était pas d’aller faire nos courses dans les musées américains mais de rencontrer les conservateurs et archivistes qui ont passé leur vie sur ces collections, et leur demander ce qu’ils voulaient voir dans l’exposition, le but était qu’ils participent à sa construction. Certains se sont vraiment appropriés le sujet et ont sorti des pièces qui pour certaines n’avaient jamais été montrées dans leur musée. On exposera donc des vidéos d’eux qui expliqueront en quoi elles sont importantes. On a aussi fait face à une série de contraintes, et on a dû renoncer à certaines pièces comme le micro des Fireside Chat de Roosevelt.

Quelle est votre pièce préférée ?

Il y a un réfrigérateur que j’aime bien car à priori on n’a rien à apprendre d’un réfrigérateur. Ça a été un enjeu pour moi de construire cette séquence de l’exposition pour que le visiteur regarde différemment le réfrigérateur et qu’il se dise que l’arrivée de biens de consommation en Amérique a changé quelque chose dans l’histoire américaine, dans les identités sociales, dans la manière de vivre et dans la religion.

LE MÉMORIAL COMMÉMORE Cette page appartient à la collection « T'en n'as pas marre des commémorations toi ? ».

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